Sociologue et géographe de formation (EHESS/Paris 7), Elsa Théry a complété son parcours par une formation en réalisation à l’Université d’Évry. Elle explore le champ documentaire pour y tisser des liens avec la recherche en
sciences humaines.
Après une expérience en production, elle réalise son premier film, « La ferme derrière chez moi » où elle raconte lʼhistoire de la transmission de la ferme de son père en Artois.
Mon grand-père est de cette génération de céréaliers qui a largement bénéficié de la modernisation de lʼagriculture dans la deuxième moitié du XXème siècle. Commençant à travailler sur une trentaine dʼhectares à lʼâge de 14 ans, cʼest une ferme de 100 hectares quʼil a transmise à ses deux fils vers la fin des années 80, récupérant les terres de ses voisins qui, lʼun après lʼautre, quittaient leur exploitation sans la transmettre. Cʼétait un développement très commun : la concentration des terres en articulation avec le développement de lʼagro-industrie et de la grande distribution a touché toute la région, tout le pays et même toute une partie du monde. Il fallait produire plus, de manière plus efficace et de ce fait avec moins de fermes, sur de plus grandes surfaces.
Mais pour la ferme derrière chez moi les choses sont allées différemment.Quarante ans plus tard, la ferme de 100 hectares est divisée en trois petites fermes de quelques dizaines dʼhectares chacune : celle de mon oncle et les deux fermes qui se sont constituées au départ de mon père.
Cʼest le départ de mon père à la retraite qui a suscité en moi lʼenvie de me plonger dans lʼhistoire familiale pour mieux comprendre ce paradoxe et le décalage de cette histoire avec celle du monde agricole environnant.
Pourquoi cette ferme est-elle allée à contre-courant du phénomène de concentration des terres ? Comment est-ce possible et cela peut-il continuer ? Alors quʼil vivait ses dernières années en tant quʼagriculteur, mon père a exprimé le besoin de témoigner, de raconter ses choix et son parcours. Cʼest donc en lʼécoutant que lʼidée de film est née.
Jʼai tourné à intervalles réguliers sur la ferme pendant un an et demi pour faire le récit de cette transmission.Dans les coulisses dʼun milieu agricole intensif et opaque, je montre ce que signifie le fait de se lancer dans une pratique différente de lʼagriculture.
Comme mon père, 43% des agriculteurs vont céder leur ferme dans les dix prochaines années et le devenir dʼune grande partie de leurs exploitations reste incertain. Face aux défis auxquels nous sommes confronté.es, quelle politique agricole et alimentaire est-il possible de mettre en place ? Une politique qui pourrait à la fois répondre aux enjeux de la transition agricole et en même temps donner une meilleure place aux agriculteurs et agricultrices de demain Autant de questions pour un débat qui doit avoir lieu avec lʼensemble de la société et auquel mon film pourra, je l’espère, apporter une part utile.